Dans Les rêves et l'éveil intérieur (1), H.P. Blavatsky et W.Q. Judge nous incitent à un "Yoga du sommeil" dont l'objectif est de lier conscient et inconscient afin de tirer partie de l'expérience de la conscience pendant la nuit.
L'approche jungienne des rêves se fonde sur un certain rapport entre conscient et inconscient : l'inconscient exerce une influence sur la conscience et lui apporte, pendant le sommeil, un ressourcement et un enrichissement possibles.
Le conscient, au réveil, exploitera, à l'aide de la mémoire, le message de l'inconscient pour apprendre à mieux se connaître et lire les pages de la vie. Il est cependant soumis au danger de la subjectivité qui constitue un miroir déformant.
Le rapport entre conscient et inconscient que propose la Théosophie est autre. Les théosophes expliquent le travail qui peut être fait à partir des rêves par la volonté d'un chemin complémentaire, partant de la conscience pour se prolonger dans le rêve : un travail de purification et de volonté durant les périodes d'éveil permet à la conscience d'entrer dans un rapport moins conflictuel et moins subjectif avec l'inconscient.
L'un et l'autre travaillant alors ensemble se complètent et s'enrichissent sans que le conscient attende tout du message de l'inconscient. Il s'agit d'une discipline spirituelle qui consiste non pas à faire des expériences merveilleuses ni à acquérir des pouvoirs, mais à épanouir l'être dans ses potentialités, à un niveau où toute préoccupation égoïste et personnelle est ex
clue.
"L'objectif serait de jeter un pont d'un plan à un autre afin de favoriser cette permanence de l'éveil de l'individu avec la possibilité de ramener de plus en plus efficacement à la mémoire de veille le contenu d'expériences puisé à la racine de notre Soi profond, source inépuisable d'omniscience".
La Théosophie reprend à son compte les quatre états de la conscience de la tradition brahmanique (2) à savoir l'état de veille, le rêve, le sommeil sans rêve et l'absorption dans le Soi Supérieur immuable.
La vie de veille est celle que nous vivons quotidiennement. Le corps physique y est le véhicule et le vêtement du Soi. C'est la vie extérieure des sens, avec, entre autres, ses pouvoirs de perception, qui"entendent, voient, sentent, touchent et goûtent" et ses pouvoirs d'action qui "parlent, prennent, jouissent, expriment et mettent en mouvement".
La vie de rêve est celle du monde intermédiaire entre la Terre et le Ciel. Elle constitue le second degré de la conscience. Privé de ses moyens d'appréhension et d'action extérieurs, l'homme endormi entre dans le monde du rêve dans un corps de rêve, corps mental façonné par l'imagination à l'image du corps physique.
"Mais quand le mental est absorbé par l'Etincelant, il ne rêve aucun rêve" (Extrait de la traduction de la Mandukya Upanishad). C'est alors la vie sans rêve ou le troisième degré du soi, pendant lequel, tous, nous entrons en contact avec des êtres spirituels. Le Soi ne perçoit plus l'extérieur par les sens dont les pouvoirs sont transcendés, les pouvoirs perceptifs sont réunis en un seul pur pouvoir de connaissance et les pouvoirs actifs en un seul pur pouvoir de volonté. L'être jouit de la béatitude. Selon Platon, la mort est un sommeil de cette espèce. Les ombres s'évanouissent. Au lieu de vaciller entre amour et haine, espoir et crainte, l'âme trouve son unité.
Les maîtres de sagesse et les adeptes sont conscients de cet état, et, travaillant sur leur discipline mentale, ne font pas de multiples rêves comme la plupart des mortels. Leur vie et leur réalisation sont au-delà du rêve.
Voici comment le Mandukya Upanishad, cité par Judge, définit le quatrième niveau de conscience :
"L'état dans lequel il n'y a pas de perception intérieure,
Ni de perception extérieure,
Ni les deux à la fois,
Ni connaissance ininterrompue,
Dans lequel il n'y a ni perception,
Ni non-perception,
.....
Cet état paisible,
Béni, sans dualité,
Est appelé le quatrième degré.
Il doit être connu comme le Soi."
"Dans la salle de nos rêves, les lampes finiront par s'éteindre, les pauvres fleurs coupées de leurs racines s'étioleront et se faneront ; mais en revanche, nous aurons le soleil éternel, l'air frais de sommets, la joie silencieuse des collines éternelles".
Ainsi, aux quatre modes de l'Eternel - monde extérieur, monde intérieur, monde divin, Soi divin - correspondent les quatres modes de la conscience - vie de veille, vie de rêve, vie sans rêve, vie divine -. Ce sont les quatre étapes sur le sentier de la vie, quatre étapes de développement que l'âme doit parcourir dans son voyage de retour vers l'Eternel. Chacun de ces états constitue un éveil par rapport au précédent.
L'adepte ou le maître participe consciemment aux trois stades de conscience précitées : veille, rêve, sommeil sans rêve, alors que l'homme ordinaire n'est conscient que de son état de veille. Or il est essentiel de relier tous les plans afin de ne pas perdre, en état de veille, la mémoire de ce qui s'est passé en rêve, ni laisser de côté les expériences de l'état de veille quand on rêve. C'est dans l'état de veille que nous nous régénérons et dans cet état que nous devons atteindre la sagesse. L'état de veille exerce une influence sur l'état de rêve en induisant des rêves. Selon ses capacités de calme et de concentration, il dénature les instructions qui lui vienne du rêve ou, au contraire, en favorise un souvenir exact. Le rêve, quant à lui, influence l'état de veille par ses suggestions bonnes ou mauvaises.
Chaque nuit, lorsque nous quittons l'état de veille pour entrer dans le sommeil, nos sens s'engourdissent et le cerveau fait émerger pêle-mêle des images tirées de l'expérience de l'état de veille. Chaque état est séparé de l'autre comme par une sorte de cloison. Progressivement, le dormeur passe à travers ces cloisons imaginaires pour traverser d'abord l'état de rêve puis atteindre le sommeil sans rêve. Il prendra le chemin inverse quand, petit à petit, il quittera le plan supérieur pour revenir à sa réalité d'éveil.
Notre confusion mentale fait que nous passons presque toujours d'un plan à l'autre sans conscience et sans mémoire véritables. C'est pourquoi les images persistant à notre réveil sont déformées et empreintes de beaucoup de subjectivité. Pour que la concentration mentale puisse nous faire voyager dans les différents plans sans les mélanger et nous permettent de garder en mémoire des images et des messages reçus aussi bien en état de rêve qu'en état de sommeil sans rêve, il est essentiel de bien conduire ses pensées de veille. Il nous faut pour cela cultiver durant notre éveil les sentiments du Beau, du Bon et du Juste qui enrichissent et ennoblissent notre âme.
La différence entre l'homme concentré et l'homme dispersé est que le premier passe d'un état de conscience à l'autre, à travers les cloisons imaginaires, comme "l'eau conduite dans un tuyau" ou comme "les rayons du soleil réfractés dans une lentille", alors que le deuxième est semblable au sable que filtre un tamis. "Le seul moyen est de nous rendre perméable aux influences du Soi supérieur et de vivre et de penser de manière à pouvoir nous rapprocher d'une réalisation du but de l'âme, d'où pratiquer la vertu et rechercher la connaissance".
1. Les rêves et l'éveil intérieur, Textes choisis de H.P. Blavatsky et W.Q. Judge, Textes Théosophiques, 1987. Toutes les citations de cet article sont tirées de cet ouvrage.
Catherine Peythieu